Paul Lecour | Crouy, un petit village picard

Itinéraire d'un enfant de Crouy devenu Poilu de la Grande Guerre :
Paul Lecour

Paul Lecour, né le 29 juin 1892, est issu d'une fratrie de deux enfants. Il est incorporé en 1913 à l'âge de 21 ans au sein du 128ème régiment d'Infanterie comme soldat de deuxième classe. Il commence sa campagne militaire le lendemain de l'ordre de mobilisation de son régiment soit le 2 août 1914, dans la septième compagnie du deuxième bataillon du 128ème RI.

Sa sœur Berthe, alors institutrice à Naours, avait une place à part dans son cœur car c'est à elle qu'était destinée la plus grande partie de sa correspondance militaire à partir de laquelle on a pu retracer une partie de son parcours.

C'est ainsi, qu'après avoir été sur le front en août 1914 sur les hauts de Meuse puis au Luxembourg belge, il s'y retrouve au début du mois de septembre. Il y retrouve quelques camarades et donne de ses nouvelles à sa sœur Berthe comme l'atteste la reproduction ci-dessous :

Le 19 septembre, alors que son régiment poursuit l'ennemi allemand battu sur la Marne, il est blessé de quatre balles à Sainte Menehould.

Le 29 septembre 1914, alors qu'il se trouve à l'hôpital militaire de Lombez dans le Gers, il écrit à sa sœur : "J'ai été blessé de quatre balles le 19 septembre dernier à Sainte Menehould. La 1ère m'a traversé la cuisse gauche, la seconde m'a traversé le nez en passant un peu au-dessus de l'œil droit et en sortant un peu au-dessous de l'œil gauche. Celle-ci serait passée un centimètre plus haut elle me crevait les deux yeux. Comme tu le vois j'ai eu de la veine. Quand je l'ai reçue j'étais assis, occupé à faire un pansement autour de ma cuisse blessée, tu juges de mon émotion en me voyant atteint une deuxième fois. Quoique cela je ne perdis pas courage et après m'être pansé mes deux blessures, je continuais mon chemin, en rampant vers le poste de secours. C'est alors qu'un quart d'heure après environ je reçus à nouveau, à la fois, 2 autres balles dont l'une me traversa la fesse droite et l'autre m'effleura le pied droit. A ce moment même, je tombais sur d'autres soldats blessés et l'un d'entr'eux qui l'était légèrement m'aida à continuer ma route. Finalement je fus recueilli par des artilleurs et là, étant tout de même en sûreté, on me prodigua les premiers soins. Le lendemain je fus expédié, avec une quantité d'autres soldats blessés, à Sainte Ménéhoulde où l'on continua à nous soigner. Le 19 on nous embarqua pour une ville du Midi. Nous devions rester à Toulouse, mais faute de place dans les hôpitaux, une quarantaine de blessés de notre train continuèrent le voyage jusqu'ici. Nous sommes dans un tout petit hôpital mais je t'assure que nous y sommes très bien soignés. Nous ne manquons de rien, bien au contraire et les sœurs et les civils qui nous soignent sont très dévoués, c'est à celui qui surpassera l'autre pour nous faire plaisir. Journellement nous avons la visite des habitants de la ville qui nous apportent des fruits, du vin, des gâteaux, des cigarettes, etc...En un mot tout le monde veut participer à nous soigner et c'est à celui qui en fera le plus. Nous sommes très heureux auprès des souffrances que nous avons endurées et vraiment cela nous semble drôle de retrouver le bien-être que nous avions perdu."

Paul Lecour était dans cet hôpital lorsque cette photo a été prise

Le 24 novembre 1914, sorti de convalescence, il retourne sur le front dans l'Argonne, via Sainte Ménéhoulde

La veille, alors qu'il est cantonné à Landernau il écrit : "Ah ! vraiment, ma chère Berthe, nous vivons dans un bien triste moment. Nous autres, soldats, sommes complètement isolés de nos familles et il ne faut pas penser revoir quelqu'un avant que la guerre soit terminée. Georges qui attend un bébé dans un mois, me paraît assez tourmenté de repartir au feu avant que cet évènement se soit produit. Pour ma part j'aurais été très content de vous revoir tous, ne fut-ce que pendant 2 ou 3 jours, avant de repartir, mais ici il n'y a pas moyen du tout d'obtenir une petite permission.

Que veux-tu, ma chère Berthe, je prends les choses comme elles viennent et je ne me fais pas de mauvais sang, et j'espère toujours nous retrouver tous réunis après cette maudite guerre."

Cette campagne de l'Argonne restera dans la mémoire du 128ème RI car à la suite de combats très violents, 1604 vaillants hommes tomberont. Paul en réchappera et restera dans la région jusqu'au 15 janvier 1915, jour de la relève de son régiment qui sera alors mis au repos au nord de Bar-le-Duc jusqu'au 18 février.

A partir du 19 février 1915, le 128ème RI s'engage sur le front de Champagne. Dès le lendemain et jusqu'au 12 mars la bataille fait rage contre l'ennemi très agressif dans la région de Mesnil-lès-Hurlus, dans la Marne. Pendant ces trois semaines d'âpres combats, le régiment va perdre 798 hommes parmi lesquels Paul Lecour tué à l'ennemi le 22 février 1915.

Sa sœur Berthe, n'ayant pas de nouvelles de son frère Paul, lui écrit une dernière lettre le 28 février 1915 alors qu'il est déjà décédé depuis une semaine. Consciente de la dureté de la guerre, elle a un mauvais pressentiment. Elle raconte : "il va se passer quelque chose d'effrayant", elle parle de "boucherie qui va se produire".

Voici, ci-dessous, deux extraits de cette correspondance :

"De plus, la guerre va pouvoir prendre tournure, ce que civils et militaires attendent, je crois, avec autant d'impatience. Par malheur, il va se passer quelque chose d'effrayant. Je serai très contente d'avoir de tes nouvelles plus souvent."

"Je souhaite, mon cher Paul, que tu ailles mieux et que tu sois préservé à nouveau dans cette boucherie qui va se produire. Encore une fois donne-moi de tes nouvelles. Soit assuré que je pense beaucoup à toi, que je voudrais que mon affection puisse te soutenir et te protéger dans le danger. J'ai toujours au cœur la certitude de te revoir, et je t'embrasse de loin en attendant le jour où tu reviendras parmi nous. Ta sœur affectionnée, B. Lecour"

Malheureusement, Paul Lecour ne reviendra pas.

Elle commencera à se douter de quelque chose quand le courrier qu'elle lui a envoyé lui sera retourné avec la mention "Le destinataire n'a pu être atteint". C'est en effet une inscription qui est apposée sur l'enveloppe par la vaguemestre du dépôt lorsque le destinataire n'est pas joignable, généralement après décès ou au mieux disparition, comme le montre la reproduction ci-dessous :

Berthe Lecour restera de longs mois dans l'angoisse et le doute jusqu'à un jour de février 1916 lorsqu'elle apprendra du service des armées la disparition de son frère.

Ci-dessous, copie de la fiche de décès de Paul Lecour :

Berthe Lecour était très proche de son frère. Sa relation avec lui était fusionnelle. Elle était presque devenue sa seconde mère. On imagine aisément son ressenti, sa douleur, ses angoisses lorsque peu de temps après la guerre, à l'occasion d'une commémoration, elle écrit un discours à l'attention des anciens combattants. En écrivant ces quelques pages - dont vous trouverez un extrait ci-dessous - c'est un peu à Paul qu'elle s'adresse une dernière fois :

"Quelques mots seulement pour saluer une dernière fois sur leur pierre funèbre, les camarades touchés au champ d'honneur. Compagnons d'armes qui dormez votre dernier sommeil dans la terre meurtrie de France, salut à vous tous ! Quand sonna l'appel de la patrie en danger, avec nous vous avez couru aux frontières menacées, gais et confiants, malgré la gravité du moment. Le cœur serré d'angoisse, fiers pourtant de remplir un devoir sacré, nous sommes partis nombreux, espérant contre toute vraisemblance être aussi nombreux au retour. Hélas ! la mitraille chaque jour faisait des vides dans nos rangs, et la mort sans choisir couchait jeunes et vieux sur les champs de carnage. (...)

Nous savons quel sacrifice spontané de vous-même vous faisiez dans l'attaque, quelle patience vous avez montrée dans cette longue guerre souterraine si peu française, quelle indomptable énergie vous relevait après un échec, vous laissant plus ardents à la lutte, plus avides de pousser dehors l'envahisseur maudit.

Nous savons tout cela, mais qui nous dira les angoisses du blessé sentant la vie s'échapper goutte à goutte de ses blessures, les souffrances de l'agonie solitaire, du petit soldat qui, loin des siens, dépourvu de toute consolation et de tout soutien, murmure tout bas : "maman" en exhalant son dernier soupir...(...)

N'est-ce rien que d'avoir vu fauchée en si peu de temps cette belle jeunesse française avant même qu'elle ait pu connaître les joies de la vie ? Combien est poignant le sort de ces pauvres orphelins hier encore enveloppés de tendresse, devant qui la vie s'ouvrait souriante, et auxquels l'horrible fléau a enlevé le plus ferme soutien. Et que dire des épouses et des mères. Les mères surtout ont porté la grande douleur de la guerre. Avoir élevé son petit, l'avoir pendant 20 ans changé, dorloté, enveloppé de mille soins, être fière de lui, de sa beauté, de sa force, le quitter plein de vie et de santé, et ne retrouver qu'un corps inerte et froid, que dis-je ?, n'avoir même pour toute relique qu'une plaque d'identité, une balle extraite d'une blessure, une croix de guerre ou une médaille militaire, n'est-ce pas là une douleur atroce pour un cœur de mère ? (...)

Il serait indigne de ceux qui restent qu'un tel sacrifice demeure stérile. Nous ne devons pas oublier le courage de nos morts, c'est pour nous un impérieux devoir. Ce temps qui efface tout ne doit pas effacer le souvenir des hécatombes qui ont mis en deuil l'univers entier."

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Cet article a pu être écrit grâce à la correspondance entre Paul et sa sœur Berthe prêtée amicalement par Monsieur et Madame Carton de Crouy.

Patrick Van Laecken