Reproduction d'un article paru au Québec sur "Le Bé", le bulletin de l'Association des Dubé D'Amérique, en décembre 2001 à propos de la venue de Mme Marielle Dubé en France.
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Hommage émouvant rendu en France au soldat Alexis Dubé
par Marielle Dubé, de Métis‑sur‑Mer
Le numéro 16 (décembre 2000) du Le Bé publiait un article intitulé « Hommage à mon oncle, le soldat Alexis Dubé. » Son auteur, Marielle Dubé, de Métis‑sur‑Mer, nous y a fait le « récit de l'engagement volontaire de deux des frères de son père lors de la guerre 14‑18 qui s'est soldée par la disparition de l'un, Horace, et la mort de l'autre, Alexis, tué à la bataille d'Amiens » en août 1918. Marielle nous confiait alors son rêve « d'aller au cimetière britannique à Crouy‑sur‑Somme, près d'Amiens, » là où son oncle repose. Ce rêve s'est enfin réalisé en septembre dernier. Après avoir apporté certaines précisions sur le dernier fait d'armes de son oncle, elle nous raconte ici les témoignages émouvants qu'elle a rapportés de ce « pèlerinage » en terre de Picardie.
Avant d'aborder la visite au cimetière de Crouy pour me recueillir sur la tombe de mon oncle, je me permets, à la lumière de récents témoignages d'apporter quelques précisions sur son dernier fait d'armes.
Au cours du printemps 1918, les Alliés décident de coordonner leurs forces devant Amiens. " II faut vaincre devant Amiens " devient le mot d'ordre. Le 8 août 1918 est lancée la bataille de Picardie. Le 9 août, le deuxième jour de la bataille d'Amiens, les compagnies d'assaut dont Alexis fait partie terminent une journée de combat infernal mais mémorable, dit‑on en hauts lieux. Les Alliés sont nettement gagnants. Les troupes franco‑anglaises font un bond de 15 km. Alexis est sain et sauf. Lui et ses compagnons s'apprêtent à aller refaire leurs forces pour le lendemain.
J'ai retrouvé après l'avoir longuement cherché l'enregistrement d'une entrevue avec mon père qui rappelle avoir appris de l'officier venu à la fin de la guerre annoncer sa mort à la famille, que le soldat Alexis Dubé, juste au moment où il va se retirer, décide de partir en mission de reconnaissance avec son commandant en prenant la place d'un jeune soldat. C'est au cours de cette opération périlleuse qu'il est atteint gravement à la tête par un projectile. Transporté à l'hôpital, il succombe à ses blessures le 11 août suivant emportant avec lui son courage, sa bravoure et ses trente ans. Mais il semble qu'il reste toujours au compagnon d'armes survivant le pénible poids du souvenir. Germaine, l'épouse du soldat Louis Paris de MontJoli, après avoir terminé la lecture du récit militaire d'Alexis, me téléphone spécialement pour me dire que son mari rappelait souvent à ses enfants que, s'il était vivant, c'était grâce au soldat Dubé qui était mort à sa place.
Marielle au pied de la croix du sacrifice à Crouy St‑Pierre en Picardie
Au moment où j'ai découvert ce fait, je me suis dit qu'Alexis valait la peine qu'au moins une fois au cours d'un siècle, quelqu'un se rende sur place dans le cimetière où on l'a mis en terre pour se recueillir sur sa tombe et lui rendre hommage. Et j'ai tout de suite pris les moyens pour concrétiser mon rêve de visiter le cimetière situé à Crouy St‑Pierre, un village de Picardie, dans la région de la Somme au nord de la France.
Nous avons convenu en famille que l'un de mes fils, Jean, serait mon compagnon de voyage. Peu de temps avant de partir, nous apprenons les tristes événements du 11 septembre dernier. Nous sommes consternés, mais décidons quand même de prendre l'avion pour la France le 14.
Parvenus le 22 septembre à Crouy StPierre, nous arrivons, tel que convenu, le lendemain matin Place de la Mairie...
Nous sommes tout de suite impressionnés par l'atmosphère à la fois solennelle et chaleureuse qui y règne. Dans mon projet, je croyais faire cette visite en solitaire, mais voilà qu'il y avait une cinquantaine de personnes réunies pour la circonstance. Monsieur le maire Jacques Vast et son fils Bernard avaient organisé une réception. Un défilé formé de civils et d'anciens combattants, porte‑drapeaux, musiciens avec tambours et clairons, s'apprête à marcher à nos côtés de la mairie au cimetière. Au bout d'une longue marche, j'aperçois dans le bleu du ciel la grande croix grise du sacrifice qui surplombe le cimetière.
Puis le défilé avance sur des allées de verdure longeant des rangées de pierres tombales toutes joliment fleuries. Sur l'une d'elles est inscrit le nom du soldat Alexis Dubé.
En silence, M. le Maire, Mme la Directrice du Mémorial Terre‑Neuvien et moi‑même déposons des fleurs sur sa tombe. Puis j'entends la voix émouvante de M. le Maire qui entame son discours comme un père ouvre grand les bras pour accueillir un enfant qu'il croyait perdu : «Alexis, aujourd'hui votre nièce est parmi nous ; elle aussi a quitté le Québec pour venir se recueillir sur votre tombe. Que d'émotions après des années de recherche! Et, si nous avons une petite part de responsabilité dans ces retrouvailles, la commune de Crouy StPierre et son Conseil municipal, ainsi que votre serviteur en sommes très fers. Madame, nous vous assurons de notre sympathie et de notre reconnaissance. Après cette petite cérémonie, nous vous convions à un pot de l'amitié, l'amitié qui nous lie à jamais à nos libérateurs canadiens et aux nations ayant participé à la victoire finale. »
Puis le président cantonal prend la parole pour un imposant discours dans lequel il s'adresse à mon oncle: "Vous, dit‑il, Alexis Dubé, vous étiez parmi ces hommes, un soldat comme tant d'autres, un Canadien venu de votre lointain Québec pour défendre la liberté, la paix au cours de cette guerre qui allait s'enliser, s'enterrer pendant quatre longues années de souffrance, de combats acharnés, de pertes incroyables en vies humaines pour reprendre une côte, un bâtiment, une vieille grange. Pendant ce temps, les hommes s'entretuaient les yeux dans les yeux, à la baïonnette. »
En terminant, il me remet une médaille en disant: "À vous, Madame Marielle Dubé, en mon nom et au nom de mes
camarades...(anciens combattants), je vous remets cette médaille de notre fédération nationale et vous assure de ma profonde sympathie, de la reconnaissance du monde combattant envers le sacrifice consenti par votre oncle. >
Les larmes aux yeux, je prends la parole pour le remercier et remercier toutes les personnes présentes de s'être jointes à moi et leur demande que les hommages rendus au soldat Alexis Dubé soient également rendus à tous les soldat inconnus et à tous les simples soldats dont on oublie l'histoire sitôt mis en terre".
Puis on me fait l'honneur de me demander de passer en revue les porte‑drapeaux. Au retour, devant le Monument aux morts, moment sublime lorsque, après la sonnerie aux morts, tambours et clairons se taisent et les drapeaux s'abaissent pour une minute de silence en souvenir d'Alexis et de ses compagnons d'armes qui ne sont plus ainsi que de celui des malheureuses victimes d'événements récents.
Le lendemain, dans le silence du cimetière, je suis émue. Un bonheur ineffable m'habite. Un sourire me monte aux lèvres en pensant à mon oncle Alexis. Ce héros, pour moi qui ne l'ai jamais connu, venait de recevoir la reconnaissance et les respectueux hommages de Français qui, jour après jour, foulent le sol picard, ce sol même sur lequel s'est déroulé son ultime et héroïque combat.
Ma reconnaissance est sans limite pour ces Français. Grâce à eux, je venais de vivre un des plus beaux moments de ma vie. J'entends encore la voix, sans souvenance du visage, qui me dit: « Madame Dubé, merci d'être venue et de nous avoir fourni l'occasion de poser un geste de reconnaissance pour tout ce que les Québécois ont fait pour libérer la Picardie au cours de la Grande Guerre. Dites‑le aux vôtres, s'il vous plaît. »
Marielle se recueille sur la tombe de son oncle Alexis à Crouy St‑Pierre en Picardie.
Le Bé‑Décembre 2001 Association des Dubé d'Amérique