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Anatole Jakovsky a consacré dans son livre sur les peintres naïfs "ces peintres de la semaine des sept dimanches" un article sur André Demonchy.

Vous trouverez ici le contenu de cet article.

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A l'approche de l'an Deux Mille, qui tiendra peut-être, qui sait, les promesses de son prédécesseur malchanceux, l'an Mille, je veux dire cette fin du monde tant redoutée périodiquement, on sent que tout est prêt désormais, tout converge, se divise à nouveau, s'éclaircit, se décante. La ligne de partage se précise. Nous sommes, que l'on veuille ou non, devant une nouvelle mutation de ce que l'on appelle civilisation ou culture. Aussi, le miroir qui réfléchissait, sinon reflétait tant bien que mal la précédente, s'est terni, semble-t-il, à jamais, tandis que celui du futur n'est encore qu'à des balbutiements, à de rares éclairs, à des illuminations passagères.

II y a d'un côté, une hâte de plus en plus fiévreuse d'en finir une fois pour toutes avec un monde pré-atomique révolu, un désir d'autre part, non moins ardent, non moins affirmé et décidé de laisser quand-même, envers et contre tous, une dernière trace de ce que furent ces mille ans de la peinture qui nous précède, cette peinture qui a commencé à sourdre et à fleurir comme ça, comme par enchantement, justement dés la première grande peur passée. Car, si le Pop Art, c'est à dire l'aile marchante de la première tendance, bannit la main, récuse le sentiment quel qu'il soit, et supprime jusqu'aux moyens traditionnels de ladite peinture, huile et toile y compris, en inaugurant ainsi un genre d'artisanat impersonnel, soi-disant objectif, à mi-chemin entre la bande dessinée, la trame de la photo-gravure et l'objet manufacturé, les autres, en revanche, mettent leur cœur à nu, tel quel, sanglant, sans artifice, sans apprêt, sans tricherie ni malice aucune. Mais les primitifs, les vrais, ont-ils fait autre chose ? Oui, qu'ont-ils fait d'autre si ce n'est avoir réanimé un monde des formes figées, crispées, lavées de vie ? Que ce soit l'homme, l'objet ou la nature, ils ont pratiqué avec eux ce bouche à bouche salvateur, grâce à quoi tout a recommencé à bouger et à sourire au dimanche de la vie.

Sur des ruinés byzantines, sur des murs étincelants d'or abstrait - précisément - sur un tas de symboles morts que l'on répète machinalement, sans tenir compté de leur signification sécrète oubliée, ils ont fait réapparaître, en effet, et la chaleur du soleil, et le chant d'oiseau, et le parfum d'une fleur, et la grâce de la femme, l'amour du visible en un mot.

Aujourd'hui encore, bien qu'on ne discute plus du sexe des anges, mais tout bonnement des mérites respectifs du Op ou du Pop Art, on sent, cependant, heureusement, l'approche, la présence vivifiante de nos primitifs à nous.

Restée longtemps tantôt campagnarde, tantôt ferroviaire, la muse de Demonchy prend de plus en plus la direction des villes et des faubourgs.

Ayant beaucoup exposé dernièrement, en France et à l'Etranger, il s'y est promené donc, regard curieux de tout en bandoulière en prenant quelques clichés partout où il passait. Ces images-là ressemblent, bien sûr, à tant d'autres clichés des touristes, le Lyon des brumes, le bleu et le soleil du Midi, si ce n'est le 14 juillet de Paname, il n'empêche que malgré le sujet, il ne les prend pas comme tout le monde. Car c'est toujours sur un grand fond blanc de neige en filigrane, sur le fond même de son enfance malheureuse, où il a connu la faim et le froid, et sur lequel il a vu se profiler ses premiers personnages aimés ou détestés, qu'importe, de même que les premiers objets, touchés par ses doigts engourdis, qu'apparaissent enfin, a plus de quarante-cinq ans de distance, des rues, des places, des églises, des chaumières, des ponts, des palais, autrement dit des édifices de toutes sortes - tout cela cerné de macadam et non pas de cette neige, certes, cette neige dont ils gardent pourtant la luisance, la pureté et la virginité, sans oublier des étoiles d'un arbre de Noël invisible ...

II y a là de la tendresse et de la dureté, du réel et de l'irréel, de la fleur bleue des champs et du mâchefer des remblais.

Et le secret de l'indéniable, de la si personnelle poésie Demonchy, réside précisément dans ces flash imprévus, jaillis des tout premiers matins de son être, du chant des matines de ses yeux.

Anatole Jakovsky

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